La mise à l’agenda : qui décide de ce dont on parle ?

La mise à l’agenda est un concept de science politique explicitant pourquoi certaines problématiques émergent dans le débat public alors que d’autres non. Ce phénomène permet de comprendre comment un problème passe d’un problème privé à un problème public ainsi que sa prise en charge par une autorité. 

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Comment un sujet entre dans l’agenda politique

Plusieurs canaux permettent à un sujet d’émerger. Des mobilisations collectives structurées (associations, syndicats, ONG) peuvent y parvenir par des campagnes visibles et exigeantes. Certains partis, à l’inverse, alimentent l’agenda via une offre politique, en tentant d’imposer leurs thèmes. Les médias jouent aussi un rôle majeur, tantôt révélateurs, tantôt atténuateurs. D’autres fois, le gouvernement lui-même agit par anticipation, en identifiant un problème stratégique. Enfin, les actions discrètes, de type lobbying, peuvent orienter les priorités sans exposition médiatique.

Mais tout cela ne garantit pas une ouverture de l’agenda. La mise à l’agenda dépend aussi de conjonctures favorables, comme l’explique le modèle de la fenêtre d’opportunité. Il faut l’alignement entre un problème rendu visible (souvent après une crise), une solution techniquement disponible, et une situation politique propice (comme un changement de majorité, une opportunité institutionnelle, ou une fenêtre médiatique). C’est dans cet instant particulier que l’action publique devient possible.

Attention : ce n’est pas parce qu’un problème est dans le débat public qu’il est sérieusement pris en charge : il faut distinguer l’agenda systémique, qui englobe l’ensemble des problèmes, de l’agenda institutionnel, plus restreint, qui concentre l’attention réelle des décideurs.

Invisibilisation et déni : les non-sujets du débat public

À l’inverse, certains sujets ne percent jamais : c’est le déni d’agenda. Le pouvoir peut éviter qu’un problème soit posé, non pas en décidant contre, mais en ne laissant même pas la question émerger. Ce blocage peut être stratégique (pression, disqualification), institutionnel (procédures contraignantes), structurel (préférences des décideurs) ou culturel (vision partielle du monde social).

La production collective de l’invisibilité est peut-être la forme la plus insidieuse de ce déni : des problèmes restent impensés non par volonté explicite, mais parce que les outils statistiques, les représentations dominantes et les routines institutionnelles les ignorent. Par exemple, la dimension sociale de la mortalité routière n’est pas construite comme un problème public : tout se passe comme si l’inégalité face à la mort sur la route n’existait pas. Pourtant, les études sociologiques ont bien observé que le groupe des précaires est bien plus exposé que les autres à la mortalité routière. 

Finalement, poser la question de la mise à l’agenda, c’est déplacer la question du pouvoir. Ce n’est plus seulement « qui gouverne ? », mais « quels sujets peuvent être gouvernés ? ». 

Car gouverner, ce n’est pas seulement trancher entre des solutions, c’est d’abord décider de ce qui mérite d’être vu, nommé, débattu. C’est avoir la capacité de faire exister un problème comme légitime, ou au contraire de le maintenir dans l’ombre, dans l’indifférence ou dans l’évidence.

Autrement dit, ce qui entre – ou non – dans l’agenda politique est un miroir des hiérarchies sociales. Ce qui est jugé « prioritaire » n’est jamais neutre : cela dit quelque chose des intérêts dominants, de ceux qui ont voix au chapitre. À l’inverse, les absents de l’agenda ne sont pas oubliés par hasard : ils sont souvent les moins visibles, les moins écoutés, les moins représentés. S’intéresser à la mise à l’agenda, c’est donc aussi ouvrir les yeux sur les angles morts de la démocratie.

Références :